Dans cette course contre l’oubli, Stéphanie Petit a décidé de raconter son parcours, ses pensées, ses interrogations, et nous livre un témoignage simple, sincère et pratique, pour tous ceux et toutes celles qui se posent des milliers de questions sans savoir à qui parler. Nous avons interviewé l’auteure sur sa démarche. Rencontre :
Repenser Alzheimer :
Stéphanie, on comprend bien dans votre livre la logique de prendre en note au fil du temps, mais qu’est-ce qui vous a amené à aller au bout de cette démarche jusqu’à publier votre livre ? Pourquoi était-ce important pour vous de “partager” cette histoire ?
Stéphanie Petit :
Tout d’abord merci de vous intéresser à “un amour sans mémoire” et de me donner l’occasion de m’exprimer à son sujet. Le processus pour aller au bout de la démarche a été long et inattendu. J’avais 36 ans, quand le diagnostic a été porté pour ma mère qui en avait 82. Je venais d’avoir mon second enfant et j’étais partagée entre les joies de la maternité et les questionnements engendrés par sa perte d’autonomie grandissante. Son caractère fort et volontaire avait jusque-là permis d’absorber notre différence d’âge inhabituelle. Ecrire a d’abord constitué une aide pour verbaliser ce que je ressentais. C’est ensuite devenu un besoin pour garder la mémoire de ces moments de vie particuliers. Plus tard, j’ai eu la surprise de ressentir de nouvelles émotions en relisant certaines notes (un peu comme si l’histoire n’était déjà plus la nôtre). J’avais dans l’idée d’en faire un témoignage pour mes enfants, mais ne savais pas comment m’y prendre. J’ai pris conseil auprès d’une amie écrivain, qui y a vu aussi une aide potentielle pour d’autres familles et des soignants. Je ne m’y attendais pas et n’étais pas prête pour une telle aventure. J’ai tout de même retravaillé pour être lue éventuellement par un public extra-familial en apportant certaines précisions, une introduction et une conclusion. Plusieurs mois se sont écoulés avant que je n’ose le proposer à “Mon Petit Editeur”. La réponse positive du comité de lecture a renforcé le fol espoir de partager un témoignage aidant. Il était alors important de ne blesser personne, et les choses se sont faites avec l’accord de mon père, de mon compagnon, de nos enfants, et l’engagement moral de reverser les droits d’auteur pour la recherche sur la maladie. Je crois que ce livre a aussi permis d’apporter une vraie reconnaissance au rôle d’aidant de première ligne tenu avec dévouement par mon père pendant 10 ans. Par extension, il constitue sans doute un hommage au rôle primordial des aidants en général, en complément des informations concernant la maladie.
Repenser Alzheimer :
Sur notre page, nous tentons de démontrer qu’il est possible de repenser la prise en charge de la maladie pour restaurer du plaisir avant tout, de la joie de vivre, des émotions. Qu’en pensez-vous ? Pouvez-vous donner à nos lecteurs et lectrices quelques astuces allant dans ce sens ?
Stéphanie Petit :
Effectivement, cette maladie qui touche la mémoire et les capacités d’adaptation, ne permet plus de vivre comme avant. Cependant, l’instant présent reste particulièrement riche, et peut être partagé intensément. Les astuces sont innombrables avec comme dénominateur commun notre capacité d’adaptation, à nous les aidants, notre volonté de bienveillance et de respect. C’est forcément au cas par cas, et parfois le recours à la ruse est nécessaire. Pour ma maman, nous avons longtemps partagé dans la cuisine : cuisiner, mettre la table, faire la vaisselle et la ranger, a longtemps été possible. Nous prenions le temps de cela le week-end. Aller en courses, choisir des fruits, tenir un panier, pousser un caddie lui faisaient également du bien, nous ne nous en privions pas. Il y a eu des petits trucs, comme par exemple, en fin d’après-midi, mon père l’emmenait régulièrement faire le tour du pâté de maisons en voiture pour lui permettre de rentrer chez elle alors qu’elle y était déjà, mais qu’elle le réclamait. Au moment des repas, si son assiette lui semblait trop pleine, elle refusait d’en prendre une bouchée. Nous la lui représentions alors moins garnie, la servant plusieurs fois, et elle s’en régalait. Les petites quantités la mettaient en appétit et son oubli à mesure était alors un drôle d’allié. Dans son Cantou, les soignants l’emmenaient avec eux pour faire le tour de nuit quand elle ne dormait pas. Privilégier le “faire avec” plutôt que le “faire à la place de”, guider un geste en l’initiant, parler avec douceur, ne pas contrarier, utiliser de petits mensonges pour la bonne cause (sans infantiliser pour autant …nous sommes entre adultes), jardiner, tricoter, peindre, jouer à des jeux de société …tout est bon à mon sens. Le contact des enfants était important pour ma mère. Ils riaient ensemble avec une immense complicité. Ils ont longtemps joué aux cartes, par exemple, et les enfants avaient appris à accepter ses règles fantaisistes. Les enfants s’adaptent étonnamment bien.
Repenser Alzheimer :
Dans votre récit, il subsiste de longues périodes de vide et vous n’avez volontairement pas tout dit, semblant faire un choix assez “positif”, ou pudique, on ne sait pas vraiment. Est-ce un choix délibéré ?
Stéphanie Petit :
Oui et non. Il y a vraiment eu de longues périodes sans écriture. Mais effectivement, certaines choses trop intimes, inintêressantes ou redondantes n’apparaissent pas. J’ai gardé les caps, ôté certains ressentis et rajouté quelques faits objectifs utiles pour la compréhension, car l’écriture initiale était vraiment axée sur les ressentis. Il me semblait que le récit devait rester court pour être lisible et avoir une portée aidante. Je voulais éviter à tout prix le côté « mélo », qui guette facilement ce genre d’histoire.
Repenser Alzheimer :
à la fin du livre, vous parlez de l’importance des animaux et de l’approche spécialisée. Pouvez-vous nous dire comment cette approche vous semble répondre aux enjeux, qu’est-ce que ça change ?
Stéphanie Petit :
La préservation des émotions, du plaisir et de la confiance est primordiale et possible. Un animal de compagnie apporte tout cela. Ma mère a toujours eu peur des chats et adorait les chiens. A notre grande surprise, certains chats ont eu le privilège de ronronner sur ses genoux. Elle les caressait alors fièrement et nous les faisait contempler. Son EHPAD a d’ailleurs adopté 2 chats, et 1 samedi par mois, l’association “4 pattes pour 1 coeur” y amène joie de vivre et humanité, en faisait venir plusieurs chiens parfaitement dressés et dociles. Les bénévoles de cette association apportent beaucoup de réconfort aux résidents et les animaux leur permettent de se laisser aller dans des réactions extrêmement spontanées. Le contact physique est très important.
Concernant l’approche spécialisée, elle accompagne tous les temps de vie. Pour notre part, nous l’avons réellement découverte au Cantou. Manger avec ses doigts (« finger food » quand le conditionnement alimentaire est prévu à cet effet) est parfois préférable à l’assistance à la fourchette : le plus important étant de rester autonome pour se nourrir. Changer un habit peut faire rentrer dans une colère folle et savoir attendre le bon moment pour le faire est tout un art. Celui d’aider à la toilette sans donner l’impression d’agresser aussi…La connaissance de cette approche spécialisée permet peut-être de déculpabiliser les aidants, et quand un relais institutionnel devient nécessaire, il est parfois même salutaire pour tous, la personne malade et son aidant.
Repenser Alzheimer :
A l’heure d’Internet, des “Mooc” (cours en ligne), votre livre est déjà une première étape dans le nécessaire “partage d’expériences” avec les autres, mais beaucoup de proches manquent d’informations, d’astuces pour contourner les effets de la maladie. Qu’est-ce qu’il manque à votre avis ? Que pourrait-on inventer pour aider les aidants ?
Stéphanie Petit :
Les choses ont avancé considérablement avec la mise en place du plan Alzheimer, les partages d’expérience, la reconnaissance de la souffrance des aidants, les nouvelles approches de la maladie … Lutter contre un réel sentiment de solitude des aidants n’en reste pas moins difficile. Aider ceux qu’on aime dans l’épreuve de cette maladie nécessite de comprendre et si possible d’accepter ce qui leur arrive, mais aussi de réorganiser sa vie. Nous avons été bien conseillés. Nous savions et nous avions entendu qu’il ne servait à rien de répéter “je te l’ai déjà dit” ou “mais tu le sais bien”, de prendre un air exaspéré ou de “passer en force” sur une idée. Quand nous sommes parvenus à l’appliquer, réellement, notre vie a changé, en termes de sérénité et de plaisir d’être ensemble. C’est loin d’être facile, c’est même épuisant par moments. Il faut prendre sur soi, puis savoir passer le relais, lâcher prise, accepter de ne pas pouvoir faire plus …Introduire une tierce personne le plus tôt possible, quand c’est possible, est important pour limiter les risques d’opposition quand la maladie est avancée. Il faut aussi savoir “oser” ce qu’on pensait impossible. La personne malade n’étant plus exactement la même, ses nouvelles réactions peuvent aussi surprendre agréablement. Mais tout cela n’est que des mots et en pratique être « aidant » ou être “aidant d’aidant”, est à mes yeux un peu comme être « parent » : on s’adapte, on se documente, on suit certains conseils, puis on fait comme on peut, avec tout son amour. Je crois qu’il n’y a pas de « recette miracle » et je n’ai pas d’idée originale sur ce qu’on pourrait inventer qui ne soit déjà fait. Dans le livre, j’espère avoir simplement pu transmettre qu’il persiste, au-delà des difficultés, toujours une place pour les petits bonheurs et pour la tendresse.
Repenser Alzheimer :
Merci d’avoir répondu à nos questions. Une dernière : où peut-on se procurer votre livre ?
Stéphanie Petit :
C’est tout simple : en ligne sur les sites habituels et Mon Petit Editeur, mais aussi sur commande dans les librairies (ce qui évite les frais de port), son prix est de 8 euros. Il existe la page Facebook au nom du livre. Elle permet de partager quelques actualités à son sujet et à l’avenir peut-être plus d’expériences. Encore Merci pour cet échange et plus généralement pour votre approche de la maladie.